Sécession versus concession : quelle place pour la radicalité dans l’immobilier ?
30/03/2023
Si l’on en croit les analyses contemporaines à tendance binaire, la transition écologique serait scindée en deux camps adverses : d’un côté les dangereux militants radicaux, de l’autre les sages pragmatiques. Comme souvent, la réalité est plus complexe. Dans la lignée du cycle de conférences amorcé au MIPIM 2022 aux côtés du biologiste Gilles Boeuf, puis de l’économiste de la décroissance Timothée Parrique, nous avons continué à enfoncer le clou en interrogeant l’épineuse question de la radicalité. Sans langue de bois et chacun avec son approche, Guillaume Carlier, directeur de la Stratégie Climat chez Bouygues Immobilier, Flora Le Bolloch, responsable Pilotage des nouvelles offres chez Bouygues Immobilier, Christophe Sempels, cofondateur et DG de Lumia, Stacy Algrain, militante et activiste climat, et Lauren Boudard, cofondatrice du média Climax se sont prêtés au débat. Retour sur leurs échanges.
Adieu « RSE à la papa», bonjour radicalité
Étymologiquement, le mot radical provient du latin radix, « la racine ». Être radical, c’est donc « saisir les choses à la racine ». Plus qu’une forme d’extrémisme, il s’agit de l’intransigeance d’une pensée qui va à la source, qui creuse les fondements. Et alors que le GIEC vient tout juste de publier la synthèse de ses six rapports soulignant la nécessité d’opérer une « transition majeure », il y a urgence à aller beaucoup plus vite, beaucoup plus fort. Militants, entreprises, citoyens : nous devons tous prendre conscience de la radicalité des actions à réaliser.
L’histoire nous montre qu’il existe des moments propices à la naissance et à l’accueil des pensées radicales : les moments de crise. Pour Stacy Algrain, « il faut construire des rapports de force pour contraindre à l’action. Si les femmes ont obtenu le droit de vote, c'est grâce à toutes celles qui ont été radicales, qui ont désobéi ». Car si les jets de soupe et les blocages de route de militants écologistes ont fait les choux gras de la presse, leur mode d'action n'est en réalité pas nouveau. Déjà au début du XXe siècle, les suffragettes interrompaient les courses hippiques, lacéraient des tableaux et coupaient des circuits électriques pour se faire entendre. C’est la fameuse théorie de la « frange radicale » développée par le maître de conférences suédois Andréas Malm dans son ouvrage culte Comment saboter un pipeline. Et ce sont précisément de ces luttes passées que nous pouvons tirer un enseignement pour l’action présente.
Dépasser le débat sémantique pour enclencher l’action
Aujourd’hui, la grande divergence ne porte plus sur la matérialité du changement climatique. La grande question à mettre en chantier est celle du rythme. En d’autres termes, va-t-on assez vite ? Alors que le MIPIM fait suite à une sécheresse hivernale exceptionnelle et que l'état des nappes phréatiques en France est critique, l’heure n’est plus aux querelles sémantiques. À quelques kilomètres de la Croisette et de ses rangées de yachts, c’est en effet une situation sans précédent à laquelle font face plusieurs communes du Var, contraintes de geler les permis de construire pour cause de sécheresse. « On a l’impression que tout va bien car l’eau coule toujours du robinet. En réalité, sans eau, la construction n’est plus possible », rappelle Christophe Sempels. Poursuivant : « certains immeubles dans le Sud de la France sont totalement vides en hiver. Cette situation est intenable »
Alors, comment aller plus vite ? C’est bien simple, pour le secteur de l’immobilier, tout doit changer. Et une des solutions pourrait venir du principe de l’économie régénérative. En mettant au cœur de son action la vie sous toutes ses formes, l’économie régénérative est à la fois une philosophie et une méthode pratique pour transformer radicalement de modèle économique. Guillaume Carlier y croit d’ailleurs dur comme fer : « nous devons changer de paradigme pour passer d’une logique de réduction de l’impact négatif à une logique d’impact positif ». En d’autres termes, creuser le sillon, pousser les engagements jusqu’au bout, et reconnaître une bonne fois pour toute la convergence entre les discours et les actes.
Vers des modèles économiques régénératifs @Christophe Sempels
Un remède à la tragédie des horizons
En 2015, le gouverneur de la Banque d’Angleterre prononçait un discours déterminant, fustigeant l’incapacité du système économique à se projeter dans le long terme pour préparer l’avenir. Il résume alors ce blocage grâce à une expression historique : la tragédie des horizons. Pour autant, la tragédie est-elle inéluctable ? Sommes-nous condamnés à un futur qui ressemble au présent, mais en pire ? Rien de moins sûr.
Pour l’essayiste et sociologue américain Raymond Williams, « être vraiment radical, c’est rendre l’espoir possible plutôt que le désespoir convaincant ». Ce travail de fond sur les imaginaires, c’est justement tout le projet de la direction du design dont nous parle Flora Le Bolloch : « Avec un concept-building comme Héritage, on travaille très concrètement la notion de désirabilité. On essaie de faire en sorte que le sujet du carbone soit appréhendé autrement que comme une seule contrainte, on travaille avec des anthropologues, des sociologues, des architectes, pour dessiner un horizon vers lequel on a envie de tendre ». Alors que le désastre écologique est devenu une évidence mainstream et que le désespoir guette, il devient donc impératif de dessiner les contours d’un futur qui donne envie. Quitte à tout bousculer, radicalement.
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