SIBCA 2023 - L’économie circulaire doit-elle sauver la croissance du secteur immobilier ?
10/10/2023
Chaque année l’industrie du bâtiment continue de générer 42 millions de tonnes de déchets. Autant de matières qui dans un contexte de raréfaction des ressources et d’inflation s’apparentent à un grand gaspillage. Faire mieux avec moins serait donc de mise et l’économie circulaire une solution. Mais peut-elle sauver la croissance, comme le laisse présumer la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ? Et si oui à quel prix ?
Pour tenter de répondre à cette question sensible, lors du Salon de l’Immobilier Bas Carbone (SIBCA), nous avons invité trois experts à nous apporter un éclairage sur le sujet :
- Camille Bertin, responsable du pôle construction et exploitation du Booster du réemploi.
- Flore Berlingen, autrice, spécialiste de la question des déchets et des ressources
- Bertrand Bousquet, responsable économie circulaire chez Bouygues Immobilier
L’économie circulaire dans le secteur immobilier : rappel des fondamentaux
Selon Flore Berlingen l’économie circulaire est souvent définie en opposition à l’économie linéaire. C’est une alternative qui essaie d’être économe avec les ressources dont nous disposons et de réduire la quantité de déchets que nous générons. À cette définition, elle ajoute deux précisions. D’abord, qu’il ne revient pas au même de partir de l’axe des ressources plutôt que l’axe des déchets pour penser des mesures efficaces. Il est par exemple difficile d’intégrer la préoccupation des ressources si l’on se focalise en premier lieu sur les déchets comme en témoignent les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP). Elle ajoute ensuite, qu’il importe de hiérarchiser les actions selon l’ordre suivant : (1) favoriser la sobriété en réduisant l’usage des ressources ; (2) développer le réemploi pour faire des économies de ressources supplémentaires et éviter la production de déchets ; (3) augmenter le recyclage, qui contrairement au réemploi, détruit l’objet de départ et est plus gourmand en ressources. Une hiérarchisation qui encore aujourd’hui « passe trop souvent à la trappe ».
Camille Bertin ajoute en complément que comme les mètres carrés sont considérés comme des ressources du secteur immobilier, il importe également d’élargir le débat à la question du foncier. En effet, encore quatre millions de mètres carrés de bureaux sont vacants en Ile de France et il est donc urgent, selon cette dernière, d’intensifier les usages.
Une entrée en matière complétée par Bertrand Bousquet qui présente la stratégie de Bouygues Immobilier pour rendre concret la logique d’économie circulaire chez un donneur d’ordre. Une stratégie qui repose sur trois piliers : (1) massifier le réemploi, pour donner une seconde vie à l’existant ; (2) développer la réversibilité et la démontabilité pour favoriser le réemploi sur les constructions neuves ; (3) mutualiser les espaces pour intensifier les usages tout en restant au plus près des besoins.
Des éléments introductifs nécessaires pour clarifier l’objet de la discussion et nous demander désormais si l’économie circulaire doit sauver la croissance du secteur immobilier ?
A cette question, nos intervenant·es semblent unanimes : tout dépend de ce à quoi nous faisons référence lorsque nous parlons de croissance. Si la croissance en question est celle d’un secteur immobilier qui continuerait de donner l’illusion d’un accès illimité à la matière, alors non, l’économie circulaire ne doit pas sauver la croissance.
« Face à la non prise en compte de l’eau dans les nouveaux projets immobiliers, je n'ai pas spécialement envie que l’économie circulaire fasse croître le secteur et renforce les constructions neuves » Camille Bertin.
Il serait de toute manière illusoire de penser qu’elle le pourrait précise Bertrand Bousquet car les dates d’indisponibilité des matières se rapprochent : 2025 pour le zinc, 2030 pour le plomb…
En revanche, et face à la crise que traverse le secteur immobilier, Camille Bertin et Bertrand Bousquet reformulent la question du débat : plutôt que de « sauver la croissance », il semble intéressant de se demander, comment l’économie circulaire peut aider le secteur à se pérenniser et à traverser la crise écologique qui va s’accentuer ? Une question à laquelle ils apportent de nombreux éléments de réponse encourageants. Bertrand Bousquet nous parle de la filiale rénovation/réhabilitation de Bouygues Immobilier qui permet à l’entreprise de répondre à l’enjeu grandissant d’indisponibilité des ressources. Camille Bertin évoque quant à elle le projet Work#1 livré à Lyon en 2021. Un bâtiment de bureaux construit le long d'une autoroute en sursis, qui pourra le moment venu muter vers du logement. Un projet qui révèle qu’il est bien possible de penser la mutation des usages dès la phase de construction.
Si les exemples qui confirment la faisabilité des démarches d’économie circulaire et leur efficacité pour répondre à l’impératif écologique augmentent, un bémol persiste : ces derniers font encore figure d’exception et coûtent souvent plus cher que les projets « standards ». Flore Berlingen nous rappelle d’ailleurs que contrairement à ce que l’on pourrait penser le, niveau de circularité à l’échelle mondiale n’est pas en augmentation, mais stagne aux alentours de 1%… Un constat qui pose la question de la massification de ces démarches et qui nous ramène à l’autre crise que traverse le secteur. Comment massifier dans un contexte de crise du secteur qui n’invite pas à prendre des risques financiers ?
Vers une massification des démarches d’économie circulaire dans le secteur immobilier
Trois axes semblent se dessiner au fur et à mesure des échanges pour faire passer à l’échelle les démarches d’économie circulaire tout en limitant la prise de risque financière.
1. Renforcer le cadre réglementaire pour éviter l’effet prime au vice.
La prime au vice c’est l’idée rappelée par Flore Berlingen selon laquelle une entreprise qui pollue sera plus facilement rentable qu’une entreprise qui fait des efforts et dont les coûts sont par extension plus importants. Une situation injuste qui peut être modifiée par un cadre réglementaire plus strict. Une piste qui semble intéressante, car si à ce jour le cadre réglementaire est utile et « sympathique » selon les mots de Camille Bertin, il ne permet pas de favoriser économiquement les bons élèves. Pour autant, nos invités sont d'accord : ceci est une action dont l’implémentation prend du temps. Il faut donc en parallèle jouer sur d’autres tableaux.
2. Encourager les collectivités à renforcer les objectifs environnementaux dans les marchés publics.
C’est grâce à Plaine Commune que Bouygues Immobilier est allé sur le sujet de la brique de réemploi pour un immeuble R+7 témoigne Bertrand Bousquet. « Sans cette impulsion de la ville, Bouygues Immobilier n’y serait pas allé ». C’est donc sous l’impulsion d’un marché public que ce donneur d’ordre a décidé de prendre un risque financier et de mettre en place une politique d’innovation. Une prise de risque certes plus coûteuse à court terme (environ +30k), mais qui à moyen terme s’est révélée bénéfique. « C’est désormais un élément différenciant qui nous a permis de remporter deux nouveaux projets et qui pédagogiquement fut le meilleur outil pour embarquer et former les équipes ».
« J’aurais pu faire 120 slides sur l'économie circulaire ça n'aurait pas eu le même effet sur les équipes. » Bertrand Bousquet
Le rôle des marchés publics est donc tout aussi important que le cadre réglementaire pour influencer les donneurs d’ordre qui peuvent ensuite répercuter ces objectifs auprès de l’intégralité de la chaîne de valeur.
3. Déconstruire les idées reçues et notamment celle selon laquelle l’économie circulaire serait systématiquement plus onéreuse que l’économie linéaire.
Bonne nouvelle, un économiste missionné par le booster du réemploi s’est attaché à comparer des matériaux neufs avec des matériaux de réemploi et il semblerait que l’évidence économique soit du côté du réemploi pour de nombreux matériaux - d’après cette étude dont la parution est prévue pour octobre 2023. De même, alors que les assurances sont souvent perçues comme un frein au développement du réemploi Camille Bertin déconstruit cette idée reçue en mentionnant que de nombreux matériaux de second œuvre n’entrent pas dans le scope d’analyse des contrôleurs techniques et des assureurs.
“Les facteurs prix et assurance ne sont plus des sujets pour une trentaine de flux de matière. Nous n’avons plus de raison de ne pas y aller” Camille Bertin
En conclusion, si l’économie circulaire n’est pas une solution pour sauver la croissance du secteur immobilier, qui doit impérativement transformer son modèle économique encore trop souvent fondé sur l’extraction de ressources ; cette dernière est un levier efficace pour répondre aux enjeux que traverse le secteur : diminution des émissions carbone, raréfaction des ressources, réhabilitation du parc existant… Il est donc crucial d’en favoriser le développement malgré un contexte qui n’invite pas à court terme à l’innovation et à la prise de risque économique. Pour ce faire, de nombreuses pistes existent. Nous en avons cité quelques-unes en espérant qu’elles incitent les autres acteurs du secteur à emboîter le pas des pionniers.
La modération des échanges et les propos ont été recueillis par Clothilde Sauvages, journaliste indépendante.