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Entreprises décarbonées en 2050 : un objectif indispensable mais sera-t-il suffisant ?

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Visuel Sibca 2022
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Alors que le secteur de l’immobilier est l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre, comment penser sa transition ? Compenser, innover…ou changer nos usages en privilégiant la sobriété et la mutualisation ? Trois personnalités nous partagent leur avis sur la question. 

Cet article a été rédigé suite à la table-ronde du même nom qui s’est déroulée vendredi 23 septembre, au Gand Palais Ephémère, la 1ère édition du Salon de l’Immobilier Bas Carbone (SIBCA), avec pour intervenant·es : 

  • Isabelle Delannoy, Présidente et cofondatrice de L'Entreprise symbiotique
  • Yannick Servant, Cofondateur de la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC)
  • Guillaume Carlier, Directeur de la Stratégie Climat chez Bouygues Immobilier

 

A la modération : Clothilde Sauvages, connector Ouishare

Ce n’est plus un secret, l’atteinte de l’objectif fixé par les accords de Paris d’une société neutre en carbone en 2050 ne pourra se faire sans l’implication des entreprises et une transformation en profondeur de l’industrie de l’immobilier. Mais à l’heure où l’on entend parler de crédit, de compensation et de taxe carbone, nous avons souhaité discuter des différentes voies pour arriver à décarboner les entreprises… Et de leurs impasses respectives. Quelles sont les opportunités mais également les renoncements auxquels il convient de procéder pour tenir nos engagements collectifs et permettre une réelle transformation du secteur immobilier ? 

intervenants sibca 2022 entreprises décarbonnées

De gauche à droite : Guillaume Carlier, Isabelle Delannoy et Yannick Servant 

Vers un engagement total des entreprises ? 

Selon Yannick Servant, cofondateur de la Convention des Entreprises pour le climat, l’implication des entreprises pour réussir à atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 doit être totale. Il n’est selon lui pas question d’aborder le sujet en divisant la responsabilité entre l’Etat, les citoyens et les entreprises dans la mesure où le réchauffement climatique est le résultat de comportements et de choix humains, et non quelque chose d’exogène comme pourrait le laisser penser la phrase “lutter contre le réchauffement climatique”. Constat partagé par Isabelle Delannoy qui complète en précisant que les problèmes climatiques proviennent principalement de nos façons de produire et de consommer et qu’il est donc crucial de travailler sur les offres des entreprises. Cela afin également d’inverser la tendance de ces dernières années qui tendaient à faire porter la responsabilité de la réduction des émissions de GES sur le consommateur. 

“Alors que ces dernières années la tendance était de délocaliser la responsabilité sur le consommateur, les entreprises doivent aujourd’hui assumer leurs responsabilités et imaginer des modèles productifs dont l’offre diffère.” Isabelle Delannoy

Mais si ce constat semble faire consensus, encore faut-il savoir comment s’y prendre pour décarboner son entreprise. 

Décarboner : un processus collectif qui ne peut s’en tenir à la compensation carbone

Pour Yannick Servant, il est absurde de parler de net zéro à l’échelle d’une seule entreprise. Ce qui importe c’est de tendre le plus rapidement possible vers l’empreinte carbone incompressible de chaque entreprise et de penser cette empreinte dans un contexte écosystémique. Pourquoi ? Car il serait par exemple tout à fait impossible pour une entreprise de sidérurgie d’aligner son empreinte carbone avec la trajectoire des accords de Paris. Pour autant, la fermeture de cette dernière n’est pas une solution puisque nous avons besoin d’acier pour nos infrastructures. Ce qui importe donc, c’est de travailler sur nos coopérations et d’évaluer notre stock d’émissions en relation avec celui des autres. Et Guillaume Carlier d’ajouter que si le sujet de la neutralité est essentiel, il faut faire attention à ne pas tomber dans le piège de la compensation. 

En effet, nombreuses sont aujourd’hui les personnes qui se disent qu’elles vont atteindre la neutralité en 2050 en ne changeant rien, et en compensant. Or comme nous le rappelle ce dernier, la compensation est un processus spéculatif qui ne peut être la réponse puisqu’il faudrait l’équivalent d’un million d’hectares de forêt par an pour compenser les émissions annuelles de la France (un chiffre bien loin des 20% d’émissions que nous captons aujourd’hui). Sachant par ailleurs que le secteur de l’immobilier pèse lourd dans la balance des émissions de gaz à effet de serre, il semble d’autant plus nécessaire de ne pas tomber dans ce mirage. 

Pour illustrer ce propos, Guillaume Carlier nous donne un exemple : alors que Bouygues Immobilier procède actuellement à l'aménagement d’une friche de quatre hectares dont le programme est estimé à 700.000 tonnes de CO2 pendant 50 ans, le  projet de restauration annexe qui permet d’atteindre un coefficient de biotope d'environ 0,8 ne permettra de capter que 200 tonnes de CO2. 200 tonnes vs 700.000 tonnes. A la compensation, il est donc préférable de penser la réduction. Une réduction d’empreinte carbone passant par deux principaux axes : à la construction, préférer la rénovation ; à l’usage du béton, préférer des matériaux plus sobres. 

“Le gros problème dans notre métier c’est que nous sommes totalement intoxiqués. Nous sommes malades du béton. Or le béton à faible empreinte carbone, c’est l’équivalent de la voiture électrique du secteur immobilier : c’est une transition, mais c’est loin d’être la solution.” Guillaume Carlier 

Entre le CO2 et l’argent, il faut choisir

Se lancer dans un processus de décarbonatation impose donc de faire des choix allant parfois à l’encontre des intérêts financiers de court terme. Cela suppose de ne pas toujours privilégier les options bon marché et rentables (comme le béton) et de prendre en compte les contraintes physiques et matérielles de notre environnement pour penser les futurs modèles de développement. C’est ce dont témoigne Yannick Servant, en donnant l’exemple de l’entreprise Mustela qui a pris la décision d’abandonner sa gamme de lingettes pour bébé à horizon 2027, alors même que cela représente 20% de leur chiffre d'affaires et que ce produit est tout à fait rentable. Une décision faisant suite à une étude carbone dans laquelle aucun scénario ne permettait à cette gamme de produit d’être compatible avec les accords de Paris. “A l’argent à court terme, la dirigeante de Mustela a préféré le CO2”. Une décision guidée par la notion de transmission et de lègue aux générations futures - ces mêmes générations qui manifestaient partout dans le monde au moment même où ces échanges se déroulaient lors du SIBCA, suite à un appel de Youth for Climate. 

Dépasser le net zéro pour tendre vers des modèles régénératifs

Aussi nécessaires que soient les processus de décarbonation, nos trois intervenant·e·s étaient d’accord pour dire que cela ne peut toutefois pas constituer l’unique objectif. Selon eux, au-delà des questions carbone, les entreprises doivent tendre vers des modèles régénératifs permettant d'intégrer notamment la question de la biodiversité. En effet, alors que Yannick Servant précise qu’il n’est pas suffisant de réduire l’impact environnemental, car cela consiste à faire moins mal, mais mal quand même, Isabelle Delannoy invite à imaginer de nouveaux modèles productifs permettant de générer des impacts positifs, et illustre ce propos par un exemple. “Lorsque vous avez une piscine, c'est de la pollution, de la consommation d'eau, de l'eau de javel, en somme des impacts négatifs. Mais si demain vous la transformez en piscine naturelle et que vous épurez l’eau grâce à un processus de phytoépuration alors cette dernière deviendra un lieu de contemplation, de ressource pour les oiseaux migrateurs, une zone humide essentielle pour la biodiversité, etc. Vous transformez quelque chose de négatif en positif”. Au-delà de la réduction de son impact, nos intervenant·es invitent donc à se demander comment à partir d’usages existants créer des mécanismes positifs permettant soit de mieux se relier, soit de préserver le vivant.

“Si l’on relocalise la beauté et qu'on n’a plus besoin d'aller à Tataouine en week-end, alors on acceptera peut-être également de partager sa voiture.” Isabelle Delannoy

Changer nos conceptions de l’habitat 

S’il semble nécessaire de transformer le secteur immobilier pour en réduire l’empreinte, un axe essentiel semble se dessiner pour permettre cette transformation. Celui de la désirabilité et de nos représentations. En effet, alors qu’aujourd’hui nos représentations nous amènent à préférer des maisons individuelles avec de grands espaces, qu’en serait-il si demain, nous changions nos modes de pensée de sorte à mutualiser nos chambres d’amis, appareils électroménagers et à renoncer à la possession de certains biens (mais non à leur usage), comme le mentionne Isabelle Delannoy, et comme il est déjà questions dans certains pays qui montrent la voie ? Des questions que Bouygues Immobilier explore déjà et qui ont conduit l’entreprise à remplacer la direction innovation par une direction du design : pour repenser les usages à l’aune de la nécessaire transition. 

“Notre enjeu c’est de créer des logements qui donnent envie tout en permettant la densification. Créer des gammes de produits de 57m2 qui donnent l’impression d’être dans un 65m2 sans en réduire les usages ; réhabiliter des locaux à vélo pour inciter à leur utilisation, etc.” Guillaume Carlier 

Travailler sur la désirabilité de nos modes de vie semble donc être un axe essentiel pour permettre au secteur de l'immobilier de se réinventer et de s’engager sur la voie de la décarbonation. Un travail dont la responsabilité doit être partagée et non dépendre uniquement des mouvements écologistes, rappelle Yannick Servant. Ce sur quoi Isabelle Delannoy conclut en mentionnant le livre de Francesco Alberoni, Le choc amoureux, dans lequel il est écrit que les révolutions sociales se produisent de la même manière que l’acte de tomber amoureux. Et sachant qu’il ne nous viendrait pas à l’idée de tomber amoureux d’une femme qui nous parlerait de son ancien amant, il nous faut absolument montrer le nouveau monde que l’on propose, plutôt que de s’enliser dans celui que l’on quitte.

Bouygues Immobilier

Depuis toujours, Bouygues Immobilier se donne pour mission d’impulser une nouvelle conception de la ville. Une ville harmonieuse, solidaire et respectueuse, une ville qui fait place à la vie.